Extrait d’une autre façon d’aborder l’étrange

Enfin arrivés, les randonneurs posèrent avec joie leurs lourds fardeaux qu’ils se promirent d’alléger à l’aide de leurs maxillaires. Ils étaient affamés et assoiffés. La petite rivière crépitait à leurs pieds, un arbre dispersait généreusement un halo d’ombre vivifiante, et les rochers lisses fournissaient des sièges idéaux pour contempler la montagne environnante. La rivière fendait le relief tel un coup de poignard, et de part et d’autre, les pentes reprenaient leurs droits, d’abord en alpage, puis en forêt d’épineux, qui coiffait chaque mont comme pour leur éviter une insolation.

— chacun choisit l’endroit le plus accueillant pour se reposer. Jean se laissait bercer par le bruit de l’eau. Il regardait la montagne, à l’envers, allongé sur le dos. Le ciel d’un bleu limpide tranchait avec les cimes lointaines, et les vallons intermédiaires ajoutaient une troisième dimension. Était-ce la mer qui grignotait la côte ou était-ce le ciel ? Cette sensation indescriptible de paix, devant cette perte harmonieuse de repère, l’amenait progressivement à la détente, la porte du sommeil.

Soudainement, un cri strident le fit sortir de sa torpeur.

– Hiiii, Hiii, une souris.

Jean instantanément sur ses pieds fixa la situation, Natacha, debout sur un rocher et juste au-dessous d’elle, une petite souris. Il eut un sourire bienveillant.

– Natacha, tu as bien fait de te mettre à l’abri de ce prédateur, d’autant plus qu’elle ne me semble pas normale. Elle a un comportement étrange, elle doit sûrement être malade. Je vais mettre un terme à ses souffrances.

Ceci dit, Jean chercha un morceau de bois suffisamment solide pour la tuer d’un coup fatal et unique. Au bord du cours d’eau, ce type d’instrument est plutôt rare et un rocher aurait été plus adapté, mais il fallait aussi que cette souris meure proprement, et d’une manière aseptisée. Natacha et Antoine étant témoins de cette mise à mort. Jean jeta un bref coup d’œil à la souris pour s’assurer que la donne n’avait pas changé. Et là, son regard s’arrêta comme scotché par ce qu’il voyait. L’incrédulité qui s’inscrivait sur les visages de ses proches lui confirma qu’il n’avait pas d’hallucination. Hermès, les poils hérissés, commençait à gronder.

La petite souris, désormais, avait la taille d’un rat, les randonneurs, figés, regardaient le spectacle.

L’animal tremblait, tressautait, bavait, émettait des bruits sourds, inqualifiables. La bête vibrait, ses formes et contours n’étaient pas nets, voire diffus. Pour être plus précis, la souris elle-même était bien définie, mais l’air autour d’elle se densifiait, prenait une couleur tirant vers le gris, de plus en plus foncé, pour atteindre le noir, le noir d’ébène. À ce stade, l’animal pris de spasme tournait comme un derviche, faisant voler pierres et poussière, puis brusquement se figeait, le halo noir disparaissait et la souris l’intégrait dans ses formes précises, grossissant à vue d’œil, tandis qu’autour d’elle, l’air grésillait à nouveau. Une nouvelle aura maléfique se formait, présageant une terrible métamorphose.

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